Aujourd’hui est un jour de chronique spécial pour moi et je m’en vais vous dire pourquoi avant de ne pas traiter le sujet du jour puisque j’en avais préparé un autre. Avant d’être hors sujet donc, je vais abuser de ma position de chroniqueur libre dans mon strict intérêt personnel. Je vais faire, comme on dit dans le métier, une « Carlos Ghosn »… sans prendre le risque cependant d’aller me promener au Japon dans la soirée.
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Il se trouve en effet que je suis entrainé depuis quelques semaines dans la préparation d’un évènement fort particulier, qu’est celui de la préparation de l’anniversaire des vingt ans de mon diplôme de fin d’étude (que je suspecte encore d’avoir obtenu grâce au fait d’arme de l’organisation du gala de dernière année…).
Donc, grâce à la magie des réseaux sociaux et à l’initiative de quelques collègues de promo, me voilà, soir après soir, en contact direct avec les joyeux fantômes de mon passé. Des gens avec qui j’ai vécu près de 3 années dans une période où les souvenirs impriment bien le cortex. Des personnes, qui pour beaucoup avaient disparu de mes radars.
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Et PAF ! du jour au lendemain, les photos du passé se confrontent à celles du présent avec des enfants partout. Les souvenirs potaches croisent les informations sur nos vies professionnelles souvent bien éloignées du diplôme qui nous destinait tous à travailler dans une usine agro-alimentaire.
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Soir après soir, Régine me fait marrer avec son poney qui a peur des souris, Jean-Philippe avec son concours de grues, Frédérique avec ses soucis de camionneurs… Ils n’ont pas l’air d’avoir trop changé. Sauf mon binôme bien-sur qui n’a plus un poil sur le caillou et qui est tatoué de partout !
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Mais la pression des retrouvailles approche. #retrouvaillesarecomming
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Comment leur dire…
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Comment leur dire ce que je suis devenu…
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Comment les alerter sur le fait que je suis maintenant un anxiogène de première ?
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Avant, le seul stress que je provoquais venait du malaise engendré par mes blagues foireuses… Mais maintenant c’est différent ! Il faut qu’ils sachent que ma vision du monde a radicalement changé en 20 ans… Que moi aussi je vois des marcheurs blancs partout (lien chronique précédente).
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Je me suis dit que le meilleur moyen était de profiter de cette chronique pour montrer par le versant éclairé ce que je m’efforce de faciliter en autopsiant le cas d’une entreprise inspirante. Histoire de donner du concret à mon Graal.
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Et là REPAF. Transition.
Je vais chroniquer sur l’autobiographie de celui qui incarne l’âme de mon entreprise référente. A ce stade je devrais citer le bonhomme en question mais faisons trainer encore le suspense quelques secondes. Quand je demande aux gens qui m’entourent qui est leur entrepreneur emblématique, on me cite pèle mêle : Elon Musk, Bill Gates…
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Et quand je dis le nom de mon référent à moi, les gens sourient toujours. Ça ne semble pas sérieux.
C’est vrai que Yvon Chouinard ça ne sonne pas « Silicon Valley », c’est moins stylé comme dirait ma fille.
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Et pourtant c’est bien de lui dont je vais vous causer en racontant, vite fait, l’histoire de Patagonia par les yeux de son créateur, un entrepreneur pas comme les autres.
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« aucun enfant ne rêve de devenir un homme d’affaire »
voici les premiers mots du premier chapitre de l’auto-biographie d’Yvon Chouinard. Phrase symbolique d’un homme qui a réussi presque malgré lui, en partant de rien, à créer ce que l’on appelle aujourd’hui une licorne (une des rares entreprises à afficher un chiffre d’affaire de plus d’1 milliard de dollars). C’est le seul qui en a un peu honte aussi…
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Son nom franchouillard, il le tient de ses origines québecoises d’où ses parents ont émigré dans les années 40 pour s’installer finalement en Californie en 1946.
Le gosse Yvon est passionné de nature, monte à 15 ans un club de fauconnerie. Il voudrait être trappeur plus tard. Il pêche, surfe…
Il est surtout passionné d’escalade Yvon. Il passe son temps à grimper, et manque à plusieurs reprises d’y passer, à cause notamment d’un matériel très insuffisant. En 1957, il achète une forge et une enclume chez le ferrailleur du coin et se met à forger son matériel d’alpinisme.
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Bref, il forge des pitons une partie du temps et les utilise l’autre partie. Il se met à les vendre et ça marche. Chouinard Equipment est née dans le début des années 60. En 1970, c’est le premier fournisseur d’escalade américain.
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Il devrait être content Yvon. Mais non. Dans son livre, il écrit son désespoir de voir que son entreprise contribue autant à la dégradation de l’environnement. En effet, aux USA ; les pitons étaient retirés à chaque utilisation, ce qui détruisait la roche. Le nombre d’escaladeurs augmentant, l’impact était de plus en plus visible. Il décide donc du jour au lendemain d’arrêter de fabriquer, pour cette raison, les pitons qui ont fait sa réussite. Il développe à la place des coinceurs en aluminium. L’entreprise communique sur le pourquoi de cette décision et revendique une escalade « propre ». Nous sommes au début des années 70 et ça marche.
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Autre virage quand il a l’idée de proposer des vêtements aux escaladeurs. Polos, anoraks, gants, bonnets… Une offre inexistante dans les années 70. Le quincailleur se lance dans la mode pour sportifs. Il mit de la couleur et surtout de la technique au service des sportifs. En 1973, la marque Patagonia est née.
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En 1977 l’effectif passe à 16 personnes mais Yvon Chouinard continue de passer une part importante de son temps à surfer et faire de l’escalade. Il pratique le MBA (Management by Absence).
Grâce à nombre d’innovations et de développements (polaires, sous-vêtements techniques…), du milieu des années 80 au début des années 90 le chiffre d’affaire de Patagonia bondit de 20 millions à 100 millions de dollars; avec une attention toute particulière au recrutement : il faut que les gens aiment les produits, les utilisent et qu’ils aient d’autres activités externes à l’entreprise.
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x« Puisque je n’avais jamais souhaité être un homme d’affaire, il me fallait au moins quelques bonnes raisons pour accepter de le devenir […] le travail devait rester agréable »
ce qui se traduit par une des premières crèches d’entreprise, des horaires à la carte car « un vrai surfeur ne décide pas d’aller surfer mardi prochain à 14h » !
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Mais c’est la conscience environnementale du patron qui caractérise le plus Patagonia, probablement car il est resté très proche de cette dernière (surf, escalade…). Un texte présente les valeurs de l’entreprise, qu’il enseignait en interne sous le terme de Philosophie Patagonia, dont je ne retiens ici qu’une phrase mais qui mériterait une chronique entière :
« toutes les décisions de l’entreprise sont prises dans le contexte de la crise environnementale »
En 1986, Patagonia s’engage a reverser chaque année 10% des bénéfices à des ONG (ou 1% du CA). Engagement tenu depuis. 66 millions de dollars de reversés à la date de l’édition de l’autobiographie !
Patagonia est aussi une entreprise militante qui s’affiche sur des causes comme en 1984 la protection du Parc Yosemite ou plus récemment en reversant l’intégralité du cadeau fiscal de début de mandat de Donad Trump à des associations.
Dès 1994, l’impact de la production des vêtements est au centre des attentions. L’éco-conception est la règle, traduite par du sourcing bio, suppression des toxiques et surtout en prenant la responsabilité de chaque produit de sa « naissance à sa renaissance ». Les produits doivent durer, être réparables, simples… Dans le métier du textile les enjeux se jouent souvent dans la chaine d’approvisionnement et j’encourage le curieux auditeur à consulter sur le site internet de la boite son FootPrintChronicles qui affiche une transparence totale sur la chaine d’approvisionnement.
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Si la réussite Patagonia ne s’est pas faite sans à-coups, il est intéressant de comprendre ce qu’Yvon Chouinard a essayé d’insuffler à son entreprise :
« pratiquer des sports à risques m’avait enseigné de ne jamais dépasser ses limites. […] quand une entreprise essaie d’être ce qu’elle n’est pas, qu’elle essaie de tout avoir, elle court à sa perte. Il était temps d’appliquer un peu de philosophie zen à notre entreprise ».
Il revendique souvent de freiner la croissance de sa boite. Là-dessus, il a un peu échoué…
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Jamais Patagonia n’est rentrée en bourse, pour éviter de subir la pression court termiste de l’actionnaire. Cette entreprise a le statut légal de Benefit Corporation depuis 2012, année où la Californie a rendu possible le statut d’entreprise à intérêt général, ce que la France a intégré en avril 2019 dans son corpus législatif (lien) . Si Patagonia venait à être vendue, ces valeurs ne pourraient changer qu’à l’unanimité du conseil d’administration.
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Bref, je vous recommande vivement la lecture de « Confessions d’un entrepreneur…pas comme les autres » Edition Vuibert pour prendre un peu d’inspiration et constater que l’entreprise est aussi un lieu des solutions.
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Dorénavant quand vous verrez un truc qui réussit, faites comme moi et dites, « C’est la Pata »!
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… Et à mes amis de 1999, n’ayez point peur, on peut œuvrer à l’évolution positive du système et (en) passer (ant) une bonne soirée ensemble…
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Freed from Desire… Lalalala 