Ce matin 3 décembre, la presse française était unanime. L’heure était grave, car le ministre du redressement productif avait failli démissionner, le week-end dernier. Terrible, en effet. Au Royaume-Uni, les quotidiens sont revenus sur le scandale des écoutes téléphoniques illégales de 2011. Big issue, aussi.
Aux Etats-Unis, les médias s’effraient de la proximité du Fiscal Cliff, qui pourrait mettre à mal l’activité économique mondiale. Peu de journalistes ont repéré les résultats d’une étude annuelle, publiée le 2 décembre, par Nature Climate Change. Dans leur article, 9 climatologues de renom (et membres du Global Carbon Project) font quelques rappels saisissants. A commencer par l’évolution des émissions anthropiques de gaz carbonique.
Dans les années 1980, les rejets du principal gaz à effet de serre émis par les activités humaines ont augmenté de 1,9% par an en moyenne, contre 1% par an durant la décennie suivante. Depuis l’an 2000, les émissions progressent au rythme effrayant de 3,1% par an (+2,6% entre 2011 et 2012). Au total, soulignent les auteurs, les émissions mondiales ont bondi de 58% entre 1990 (année de référence du protocole de Kyoto) et 2011. Pas de quoi se réjouir.
Car, si rien n’est fait pour infléchir massivement ces tendances, les conséquences seront extrêmement douloureuses. Les tendances observées, ajoutent les scientifiques, sont en ligne avec les plus pessimistes scénarios du Giec , A1FI et A2. Pour mémoire, le second nous promet un réchauffement, à 2100, de 3,5°C contre 4,2 à 5°C pour le premier.
Ces estimations vont dans le même sens que les conclusions d’une étude publiée le 19 novembre par la Banque mondiale. Dans son rapport, l’institution de Bretton Woods estime que les politiques mises en œuvre, ou annoncées, nous mènent droit à un réchauffement de 4°C d’ici la fin du siècle [JDLE].
L’avenir sombre est-il déjà tracé ? Pas forcément, répondent les climatologues. Mais il faut agir vite, fort et longtemps. Stabiliser les températures moyennes globales à +2°C par rapport à l’ère pré-industrielle suppose, écrivent-ils, d’abattre, dès à présent, les émissions anthropiques de 3% par an. Ce qu’ont réussi à faire la France, la Belgique ou la Suède, durant une dizaine d’années, lors du développement de leur programmes électronucléaire et d’économies d’énergies dans les années 1970-80.
Sommes-nous si loin de ces années glorieuses ? Comme chaque année, Germanwatch publie une comparaison de l’efficacité des 60 pays émettant le plus de GES (90% des émissions mondiales). Publiée ce matin, la dernière mouture du Climate Change Performance Index n’est pas rassurante.
En se basant sur l’analyse faite par plus de 200 experts internationaux, l’ONG allemande estime qu’aucune des politiques examinées ne «permettra d’atteindre l’objectif des 2°C». La patronne de l’agence internationale de l’énergie s’en inquiète d’ailleurs. S’adressant aux négociateurs de Doha, Maria van der Hoeven rappelle qu’il «est plus urgent que jamais de mettre en œuvre un système énergétique plus sûr et plus durable. Car plus la communauté internationale tardera à agir pour limiter le réchauffement à 2°C, plus l’atteinte de cet objectif sera difficile et coûteuse».
Les climatologues seront-ils entendus à Doha ? Rien n’est moins sûr. Pour le moment, le Japon et la Chine refusent d’envisager toute taxation des émissions des secteurs aérien et maritime. La Pologne s’accroche, comme jamais, à ses surplus de quotas, au risque de saborder définitivement la finance carbone. Aucun des pays les plus industrialisés n’acceptent de s’engager sur des montants d’aides financières pour les pays les plus vulnérables. Ces derniers conditionnant la conclusion de tout accord au renforcement de cette aide, précisément. Et les États-Unis n’envisagent pas de signer le moindre accord sans y avoir vu le paraphe de dirigeants indiens, chinois, philippins, mexicains ou brésiliens.
A trop vouloir additionner les égoïsmes nationaux, la communauté internationale joue un jeu à somme nulle. A tous les sens du terme. »