Mon métier de consultant-auditeur m’emmène régulièrement en exploitations agricoles et il m’est de plus en plus insupportable d’entendre d’injustes généralités sur un métier que nous ferrions bien de comprendre et respecter. Dans ce post, je ne cherche pas à dresser une vision idyllique des pratiques agricoles (lisez jusqu’à la fin, je vous apporterai la preuve de mon sens critique), mais je voudrais seulement exprimer ce que je ressens souvent personnellement comme une profonde injustice : le déficit d’image de la profession agricole. Ce déficit d’image n’est surement pas pour rien à la crise des vocations que traversent certaines région de France.
En effet, il est de bon ton, quand on travaille dans des métiers loin de la terre, le service par exemple (comme ma pomme), de répandre au café du matin tout le mal que l’on pense de l’exploitant voisin de la maison qui a épandu un liquide malodorant un soir de beau temps qu’on aurait bien passé dehors à siroter une bière… Qui n’a pas insulté le tracteur roulant sur la départementale accentuant votre retard (avouez, vous étiez de toute façon en retard) ? Ces paysans, ils nous polluent nos plages avec des nitrates, ils nous intoxiquent avec leur chimie, ils ne respectent pas les animaux dont ils ont la charge, ils sont violents et en plus ils sont tous riches comme crésus. D’accord, je force le trait et quelques un de ces poncifs ont même du sens… si on les contextualise.
Comprendre c’est savoir que :
1- Les agriculteurs/trices sont des hommes et des femmes à qui on demande beaucoup. La population urbaine n’a pas suffisamment conscience qu’un exploitant agricole est un « chef d’entreprise – ouvrier – technicien de maintenance – responsable des ressources humaines et des achats« . Bien-sur beaucoup d’artisans sont dans une situation équivalente; mais le poids de la réglementation applicable aux exploitations est souvent beaucoup plus lourd (la législation des Installations Classées concerne beaucoup d’exploitations au même titre que les industriels). Prendre du recul sur ses pratiques et les remettre en cause quand on est littéralement noyé sous le travail n’est pas chose facile; et ça, on peut tous le comprendre.
2- L’agriculture est un métier aux externalités positives mesurables. Toutes les externalités de l’agriculture ne sont pas négatives (externalité = pollutions diverses). L’entretien de nos surfaces de terres arables a une conséquence économique bien sur, mais aussi de réels avantages en terme de biodiversité (entretien de haies…), de limitation de l’étalement urbain (pression de la profession agricole pour maintenir une surface exploitable à proximité des agglomérations)…
3- La prise de risque est maximale, les garanties minimales. Malgré leur statut de chef d’entreprise, beaucoup d’exploitants n’ont pas la main sur leur « business model« . Ils se sont engagés à un moment donné dans une filière (poules pondeuses par exemple), ont fait des investissements lourds avec leurs fonds propres et doivent coute que coute tenir la barque jusqu’au remboursement des prêts. Et si la filière dont ils ne sont qu’un maillon implose, c’est perdu. Assurer un revenu correcte n’est pas, selon les filières considérées, assuré. A cette raison contextuelle, quelques autres plus critiquables de mon point de vue amplifient les risques. Pour une obscure raison, on a mis dans la têtes des exploitants agricoles qu’il ne fallait jamais payer d’impôts et toujours croitre. Donc les exploitants sont en permanence en train d’investir, pour de bonnes et de mauvaises raisons (le nouveau tracteur n’est pas toujours une bonne…). Certaines exploitations se retrouvent ainsi sur-équipées et en faillite ! Mais il parait qu’avec la féminisation des exploitants, les choses changent sur le sujet.
4- Une conscience environnementale est de plus en plus partagée. Beaucoup d’agriculteurs ne souhaitent pas maintenir le modèle de production intensif en consommation d’intrants et travaillent à la maîtrise des pollutions agricoles. Bien sur, il est mal vu de parler « d’environnement » dans le monde agricole, ce mot étant quasi systématiquement synonyme de « mise au normes« . Normes qui tombent du ciel, ne sont pas comprises, et coûtent cher.
Pourtant le poids des intrants dans les charges, la volonté de se protéger et de protéger les siens des dommages sur la santé des produits phytosanitaires et la volonté de renvoyer une image meilleure du métier; font que certains s’engagent. S’engager, c’est parfois passer en culture biologique mais pas que. Suivre des formations à l’utilisation de « bas volume » de traitement phyto, s’engager dans des démarches de certification ISO 14001, innover techniquement en investissant dans des technologies high-tech, déployer des logiques d’agriculture « écologiquement intensive »… Il se passe vraiment des choses sur le terrain, je vous le garantis. Mon regret personnel est que les représentants de la profession choisissent le plus souvent de ne pas valoriser (voir freine) ceux qui innovent sur le sujet des « bonnes pratiques environnementales ». Comme dirait l’autre « l’environnement, ça commence à bien faire » et il ne manquerait plus qu’on demande aux moins bons de suivre les meilleurs ! Et pourtant…
Accessoirement à tout ça, l’agriculture est notre avenir alimentaire.
Sans céder au lobbing agricole « dur », hostile à toute évolution des pratiques, pourtant absolument nécessaires de mon point de vue, nous devons valoriser ce métier et reconnaitre ce qu’il nous apporte. Ne pas le faire, c’est se priver d’un maillon essentiel de notre « éco-système ».
Le changement, ça ne se décrète pas. Il faut donner envie de changer, faire de la pédagogie. Des exploitants s’engagent et prennent des risques. Encourageons les, même s’ils ne suivent pas tous la voie extrême (de simplicité) de Pierre Rabhi, que j’admire par ailleurs (bande annonce de son film actuellement sur les écrans).
Au delà des mots, je suis assez fier qu’un exploitant proche de mon domicile ait été pris en exemple sur le site du Monde pour expliquer l’Agroécologie : lien