Lu : La mission de l’entreprise responsable (principes et normes de gestion)
Posté par Jean-Luc DOTHEE le 20 mars 2019
La loi PACTE vient d’être votée et elle annonce peut-être des changements majeurs pour les entreprises et pour l’intérêt collectif. En effet, parmi les multiples sujets traités dans cette loi, y est décrit la possibilité juridique de modifier les statuts des Entreprises à Mission. Et c’est bien de cela qu’il s’agit dans le bouquin que je vais essayer de peacher ici.
Les travaux de Blanche Segrestin, qui m’avait captivé lors d’une conférence en 2015 (lien), s’intéressent à ce qui caractérise la « responsabilité » de l’entreprise au travers l’histoire, de la Rome antique à aujourd’hui en tournant autour du concept de « norme de gestion » qui définit la « bonne gestion en Société » (intégrant l’intérêt collectif et pas que l’intérêt individuel).
Bien que très technique (c’est un bouquin de chercheurs), cet ouvrage présente l’énorme mérite de rentrer dans le fond des choses et faire l’autopsie de la situation présente pour comprendre en quoi l’entreprise « maximisatrice de profits » n’est pas une fatalité. Le sujet majeur traité ici, est plus que jamais d’actualité : A quoi peut (doit) ressembler l’entreprise responsable du XXIème siècle ?
Un coup d’œil dans le rétroviseur – chapitres 1,2,3 -
Qui savait que Cicéron avait théorisé « la bonne gestion » sous le mot gerere ? Il décrivait ainsi l’idéal d’action publique par faces complémentaires et indissociables : l’exigence de l’esprit (compétence, étude, réflexion) ET la vertu politique intégrant justice et bienveillance. La bonne gestion de l’action politique intégrait donc efficacité et responsabilité.
Le retour à l’Histoire, permet aussi de rappeler la différence entre entreprise et société. Ce n’est pas du tout la même chose ! Si les entreprises ont explosé lors des révolutions industrielles, c’est avant tout grâce à leur capacité à innover, à surfer sur les inventions scientifiques du moment, à organiser le travail. Les entrepreneurs étaient avant tout des « explorateurs« ; pas des commerçants.
Le bug système est arrivé dans les années 1970, moment où le capitalisme financier est monté sérieusement en puissance, où l’actionnaire « individuel » a progressivement laissé la place à l’ »actionnariat industriel » via l’apparition de nouveaux intermédiaires. La priorité de l’entreprise s’est mis alors à glisser vers le court-termisme avec une relation de dépendance Actionnaires – Dirigeants paradoxale : exigence de la part des actionnaires de maximiser les profits sur le court terme (au détriment notamment de la R&D couteuse et trop aléatoire) et influence forte sur les prises de décisions du dirigeant, sans aucune responsabilité en cas de défaillance, contrairement aux dirigeants, responsables devant le code du travail mais aussi devant les fiduciary duties anglo-saxonnes (obligation de protection des intérêts de tous les actionnaires). C’est ce que les auteurs appellent le « contrôle sans responsabilité » des actionnaires.
Et maintenant on va où ?
- chapitre 5
Pour les auteurs, la RSE « volontaire » est insuffisante pour intégrer l’intérêt général dans le logiciel de l’Entreprise, car hors cadre de tout contrôle juridique opposable et finalement accessible que dans les rares cas de profitabilité. Il faut donc, selon les auteurs toujours, introduire des normes de gestion permettant de dépasser la stricte performance économique; de donner aux actionnaires des responsabilités équivalentes à celles des dirigeants, mais aussi clarifier la légitimité d’intervention de chacun au regard d’un « contrat de gestion ».
Ce « Contrat de gestion », passé entre associés et dirigeants :
« …doit remplir plusieurs conditions. Le mandat doit d’abord respecter les normes de responsabilité et d’équité. En pratique, cela empêche les forme de rémunération actuelle, indexée en large part sur la valeur actionnariale. Le mandat doit ensuite désigner un inconnue désirable et d’intérêt collectif, c’est ce qu’on appelle une « mission ». »
Nous y voilà. L’apparition de nouveaux cadres légaux permettant la reconnaissance des entreprises à mission (Profit with Purpose Companies) est donc une piste crédible. Ces entreprises (comme Patagonia, j’y reviendrai dans un prochain post, puisque que je lis actuellement l’auto-biographie passionnante d’Yvon Chouinard), ont inscrit dans leurs statuts les finalités sociales et environnementales additionnellement à la recherche de profit. Et ça change tout !
En protégeant juridiquement les entreprises qui décident de s’engager dans une finalité plus large que le seul profit, elles affirment leur différence bien au delà de la simple communication de court terme et assurent la pérennité de la mission de l’entreprise au delà de la présence du leader charismatique. Le Dirigeant peut prendre des décisions qui ne vont pas strictement dans l’intérêt de l’actionnaire sans être accusé de « mauvaise gestion ».
Conclusion partielle
Le chapitre 7 est dédié à la « ré-invention du cadre de responsabilité de l’entreprise » est, me semble-t-il, le plus intéressant. Je laisse le soin au lecteur de le découvrir par sa lecture complète et reprends seulement ci-dessous une phrase extraite de sa conclusion :
« … Cet examen montre que la mission réinvente profondément le schéma de l’objet social, en l’adaptant aux enjeux contemporains d’innovation. La mission en tant qu’engagement à un effort d’exploration, de recherche et d’innovation, apparait en tout cas prometteur pour organiser une action collective à la fois efficace et responsable. »
Dans ce livre la RSE prend cher… Sans être dans une posture défensive stricte, je me permettrai seulement de nuancer les constats, souvent pertinents pour les multinationales et que je ne retrouve pas dans les PME – ETI de mon territoire qui agissent plus qu’elles ne communiquent. Reste que les pistes proposées vont dans le sens de la montée en gamme dans l’engagement sociétal. Nous avons tout intérêt à utiliser la RSE comme une étape indispensable au passage de l’entreprise à mission.
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Bref, nous risquons de beaucoup parler « entreprise à mission » dans les mois et années à venir. Nous ne sommes pas donc à l’abri que cette « réforme » des entreprises soit utile et salutaire !
Cette lecture me semble être une introduction indispensable à l’action et je la recommande vivement.
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