LU : La nouvelle Société du coût marginal zéro
Posté par Jean-Luc DOTHEE le 29 juillet 2016
J’ai mis beaucoup de temps pour le lire ce Rifkin, mais ça y est, je peux enfin essayer de donner mon avis sur LA NOUVELLE SOCIÉTÉ DU COUT MARGINAL ZÉRO !
J’avais pourtant dévoré UNE NOUVELLE CONSCIENCE POUR UN MONDE EN CRISE (lien), j’avais trouvé la vision prospective de l’auteur pertinente dans L’AGE DE L’ACCÈS (lien) et je reviens souvent sur les propositions émises dans LA TROISIÈME RÉVOLUTION INDUSTRIELLE (lien).
Dans ce dernier ouvrage, au titre si long qu’il méritait d’être au Guinness Book – LA NOUVELLE SOCIÉTÉ DU COUT MARGINAL ZÉRO, INTERNET DES OBJETS, L’ÉMERGENCE DES COMMUNAUX COLLABORATIFS et L’ECLIPSE DU CAPITALISME – le charme n’a pas exercé sur moi.
Peut-être parce que l’auteur se répète beaucoup d’un livre à l’autre (je trouve même ça « limite » de se citer si souvent !), peut-être aussi parce que j’ai pris un peu de distance avec les solutions technophiles de JR, surement enfin parce que je trouve qu’il ne traite pas assez les versants obscures des évolutions qu’il décrit comme inéluctables. J’y reviendrai.
Attention, j’apprécie toujours le volontarisme et l’optimisme de JR pour une évolution de nos pratiques sociétales plus humaines, plus empathiques, plus à même de prendre en compte les enjeux environnementaux de notre siècle. Quand on sait qu’il cause à l’oreille d’un certain nombre de décideurs, on se dit que c’est une voix qui va dans le bon sens.
L’idée de fond du bouquin :
Du fait de l’amélioration de la productivité, les coûts marginaux s’effondrent à un niveau proche de zéro, les profits disparaissent et le système capitaliste ne fonctionne plus. « Accessoirement » aussi, les emplois disparaissent [« entre 1995 et 2002, 22 millions d’emplois industriels ont été supprimés dans l’économie mondiale alors que la production a augmentée de plus de 30% »!]. Les biens et services deviennent presque gratuits, d’autant plus que le consommateur devient, grâce à la mise en relation facilitée par internet, un producteur-consommateur qu’il appelle le « prosommateur » et que ce dernier a de moins en moins d’appétence à la propriété. L’avenir serait donc dans les communaux collaboratifs détachés des règles de la concurrence du capitalisme et du dirigisme des gouvernements.
Quelques idées glanées au kilomètre que je souhaite partager suite à cette longue (trop longue) lecture :
- JR propose un intéressant parallèle historique entre communaux médiévaux (que l’on retrouve aujourd’hui dans certaines initiatives locales réussies comme en Gambie LIEN) et les communaux numériques émergents. Bien vu. Quand le capitalisme ne propose que concurrence, que les États dirigistes ne savent pas s’adapter rapidement, la troisième voie de la collaboration « entre pairs » permis par internet – avec des modes de gouvernance ouverts – laisse entrevoir des champs de possibilités dont on ne mesurerait pas encore le potentiel.
- Il est cependant dommage que JR ne propose que la vision parfaite de l’économie collaborative et ignore dans sa démonstration ses défauts : perte de fiscalités – concurrence déloyale (ex : hostellerie), dérives dans l’exploitation de données personnelles, manipulation malfaisante des algorithmes, manipulation de l’information (l’actualité nous montre que la vérité est devenue une opinion parmi d’autres LIEN)…
- pour JR, il est évident et fatal que, dans le sillage de la place grandissante du Big Data dans notre quotidien, nous allons tous perdre la maitrise de notre vie privée. C’est dans le pack et ce n’est pas grave. Je ne partage pas ce point de vue.
- Les emplois disparaissant dans les industries de la seconde révolution industrielle, JR prédit une explosion des embauches dans les entreprises sociales (à but lucratif ou non). Une cause de la disparition des emplois industriels est l’amélioration de la productivité par l’automatisation. La « fabrication dans le noir » (sans humain) devient un objectif absolu pour les industriels. « Les observateurs s’attendent à ce que, de 163 millions d’emplois industriels aujourd’hui, on passe à quelques millions seulement en 2040 » ! Sans emplois de substitution, le capitalisme a un problème de taille : un employé industriel en moins est aussi un consommateur en moins. Qui va acheter les produits bons marchés ?
- JR passe beaucoup de pages à expliquer en quoi l’open-source doit devenir la norme… mais traite très succinctement le risque de la concentration des pouvoirs (et donc la Gouvernance même des vecteurs de « communaux numériques ») au sein de très peu d’entreprises du numérique (Google, FaceBook notamment). Il pose quand même la question d’une éventuelle disposition « anti-trust » qui reste à imaginer dans sa mise en œuvre.
- J’ai aussi collecté quelques infos faciles à replacer en société : « consumption » (consommation en anglais) désignait jusqu’en 1920… la tuberculose (consomption) et était définit dans le dictionnaire comme « gâcher, piller et épuiser ». Retenez aussi que l’industrie de la publicité, dans le monde en 2012, c’est 480 milliards de dollars !
Il m’est difficile de partager l’optimisme de l’auteur dans une période où le pire de ce que l’humain est capable de produire s’exprime quotidiennement. J’ai peur de devenir sceptique. Jeremy Rifkin nous propose des interprétations de certains mouvements en cours et c’est déjà pas si mal. Par contre, c’est pas sur que je dépense 26€ pour son prochain bouquin.
PS à mes connaissances : tous les bouquins commentés sur ce blog sont tenus à votre disposition pour une nouvelle expérience de lecture (collaboratif on vous dit!).
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